Yoga, uniformes Harry Potter, profs célèbres… Enquête
20 400 euros l’année, les élèves de Union School, une nouvelle école bilingue dans le XVIe arrondissement de Paris, sont très gâtés. Immersion dans un cocon privilégié qui cartonne.
Dans des alcôves tapissées de papier vert céladon le long des murs de cette salle polyvalente, les enfants, à l’heure des récréations, se blottissent sur des coussins pour bouquiner. Au-dehors, dans la petite cour, coccinelles et papillons volettent autour des carrés potagers ; dans le couloir, se presse une nuée babillante d’élèves en sweat-shirt gris floqué du logo harrypottérien : bienvenue à Union School, l’école primaire la plus chère de France, 20 400 euros l’année, sans compter la cantine à 2 650 euros les cinq repas par semaine.
Installé dans 1 000 mètres carrés, rue de la Faisanderie, dans le XVIe arrondissement de Paris, l’établissement bilingue, privé hors contrat, a ouvert ses portes en septembre avec 70 enfants. « Une population gâtée matériellement », convient Barbara de Baudry d’Asson, la directrice-fondatrice, ex-avocate d’affaires et sémillante blonde parlant anglais et français dans la même phrase. Sa clientèle : un tiers de petits Français rentrant d’expatriation, des familles binationales ou des couples étrangers en poste à Paris, des Asiatiques, des Indiens, des Latino-Américains, quelques familles du Moyen-Orient, une famille franco-russe revenue de Londres et aucun Ukrainien. Déjà 120 inscrits pour septembre prochain, de la petite section de maternelle au CM2, et les rendez-vous s’accumulent en ce printemps.
Dans cette école singulière, où tout respire joliesse, expertise et fortune, les cours sont donnés pour moitié en anglais par des enseignants anglophones : « Nous sommes la seule école totalement bilingue de Paris. » De 8 h 30 à 18 heures, ces petits privilégiés, d’une politesse ébouriffante, jouent au tennis, ils pratiquent le yoga, apprennent le codage (en maternelle, sans truchement d’un écran), ils font du théâtre, de la sculpture, ils dansent, ils philosophent, ils méditent et fabriquent des petits colis de jouets à bricoler pour une association venant en aide aux enfants hospitalisés. Jamais plus de 20 par classe, deux enseignants par niveau, ils étudient évidemment aussi les matières scolaires classiques selon un programme mêlant « le meilleur du cursus britannique aux fondamentaux d’un parcours français« , les mathématiques étant dispensées, via une professeure dédiée, selon la méthode de Singapour.
Union School a été inspecté deux fois cette première année par l’Education nationale, satisfaite. Les notations obéissent à un système de couleurs jusqu’au CE2, puis place à un bulletin de sept pages ; c’est qu’en contrepartie de tels tarifs, il faut rendre compte. D’ailleurs, via l’application mobile SeeSaw, les enseignants postent quotidiennement des photos, « les apprentissages de la journée, des petits moments de la vie de classe », et bien sûr, « tout leur dossier, leur travail ». Aucun devoir à la maison, en revanche pendant les vacances, qui démarrent un jour en avance sur le calendrier officiel – « c’est tellement plus pratique pour prendre les billets d’avion, ou éviter les trains bondés », commente décontractée la directrice – les enfants doivent lire vingt minutes par jour. Tout fut minutieusement pensé par la fondatrice, qui plancha quatre ans sur son business plan : huit actionnaires, « tous des particuliers, aucun fonds d’investissement » précise-t-elle, se partagent 28 % des actions, quand elle détient les deux-tiers.
"Je veux inventer l’école idéale, que nos élèves aiment venir, que leur scolarité soit joyeuse et performante" - Barbara de Baudry d’Asson
Le diapason thérapeutique
13 salaires à plein temps, quatre assistants, et une palanquée de professionnels à rémunérer (profs de yoga, d’échec, de danse, etc.). Les frais de scolarité rapportent cette année 1,4 million d’euros, encore insuffisant pour dégager du bénéfice, équilibre attendu dans trois ans, dividendes ensuite. Au-delà de ce sens éprouvé des affaires, la néophyte a construit une ambition pédagogique réfléchie : « Je veux inventer l’école idéale, que nos élèves aiment venir, que leur scolarité soit joyeuse et performante. » Aux commandes opérationnelles, une gravure de proviseur anglais, Ian Tysoe, cravate rayée, yeux clairs, poignée franche, ancien de l’excellentissime internat de Cottesmore au Royaume-Uni et de la prestigieuse Saint George’s International School de Montreux en Suisse, des enseignants, diplômés en France, Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis et une nuée d’intervenants experts.
Pour l’écriture, Danielle Dumont, docteur en sciences du langage, auteur d’une méthode éponyme, convaincue que « faire de la graphie pour apprendre à écrire, revient à écrire du chinois pour apprendre l’arabe ». La septuagénaire travaille depuis quarante ans sur l’écriture, « qui est bien plus qu’une trace sur le papier ». Avant de tenir un crayon pour tracer des lettres sur une ligne, elle postule que les enfants doivent apprivoiser les « contingences spatiales », exercer leur motricité fine (par exemple, en triant des graines de haricots dans un pot de semoule), marcher à quatre pattes, danser selon des chorégraphies qui leur font ressentir la verticalité, l’horizontalité, notions facilitant l’écriture d’un « f » ou d’un « m ». « Si c’est bien mené, tous sauront écrire en fin de petite section, et leur écriture cursive sera fluide en moyenne section », assure-t-elle.
Dans cet esprit holistique, la praticienne de « Body Mind Centering« , Estelle Corbière et son équipe enseignent les « fondamentaux du mouvement ». Formée à la méthode Rudolf Laban, chorégraphe hongrois des années 1930, elle éveille à « la coordination, l’ancrage, la stabilité, les ateliers font lien avec les apprentissages, ils guident vers la concentration ».
Au chant, l’artiste Camille, trois fois lauréate des Victoires de la musique, et ses assistants.
Au chant, l’artiste Camille, trois fois lauréate des Victoires de la musique, et ses assistants. Pieds nus autour d’elle, les enfants s’exercent à son fétiche « mandala la », un chant spontané en cercle, s’échauffant la voix en produisant le son d’une mobylette. Pendant la pause, sirotant un jus de framboise bio, elle leur montre son « diapason thérapeutique » émettant l’onde de Schumann, soit, explique-t-elle, « une vibration très lente, ensemble de pics spectraux, fréquence extrêmement basse, dans laquelle baigne le vivant ». Posé sur la cage thoracique, ou sur le crâne, le diapason diffuse cette vibration, « à l’unisson du champ magnétique terrestre ».
Peu réceptifs à cette explication perchée, les enfants gloussent, car voilà : l’onde terrestre chatouille. A la cantine, des repas climatariens, élaborés par la chef Emmanuelle Riboud et son atelier de restauration collective, Ressources. « Du 100 % bio, local, de saison, respectueux des sols vivants, livrés à vélos », de quoi « réenchanter la cantine ».
« L’apprentissage de l’alimentation durable est une matière scolaire », explique la cuisinière engagée, qui ajoute que les enfants sont formés, via la fondation Good Planet, aux éco-gestes.
Un tout petit monde
Assommé par tant de perfection, on se dit qu’ils ont bien de la chance, ces enfants nés dans des foyers aux finances abondantes et aux manières délicates de pouvoir de surcroît grandir dans ce cocon, clos et homogène. Un tout petit monde qui comble la directrice de bouquets de fleurs lors de son anniversaire, et l’invite à dîner, tous se fréquentent, se connaissent, se connectent. Téléphone portable interdit, laïcité stricte, Union School ravit – notamment le maire de l’arrondissement, Françis Szpiner, « je n’en pense que du bien, j’aide toujours ceux qui veulent entreprendre » – et questionne, tant on ne peut s’empêcher de penser que cette belle énergie aurait mieux profité à d’autres.
Une critique à laquelle l’impeccable Barbara de Baudry d’Asson s’est préparée, nouant un partenariat avec Grégoire Borst, professeur de psychologie du développement et de neurosciences cognitives de l’éducation à la Sorbonne, directeur du LaPSyDe au CNRS, le premier et le plus ancien laboratoire scientifique psychologique de France. C’est ici, au quatrième étage d’un bâtiment miteux de l’université parisienne, que planchent 18 chercheurs et 23 doctorants sur les lois de l’apprentissage d’un enfant afin de lutter contre les inégalités éducatives. Partant du fait qu’en arrivant en CP, un enfant d’un milieu aisé connaît 1200 mots, quand son camarade moins bien loti n’en maîtrise que 525, et sachant que pour l’un comme pour l’autre l’Education nationale diffuse un unique programme, ces scientifiques cherchent à établir comment le cerveau apprend. Une expertise dont Union School a souhaité bénéficier. Marché conclu : l’école privée assume le salaire complet annuel d’une doctorante – environ 65 000 euros –, en échange, celle-ci forme ses enseignants sur la meilleure façon d’apprendre à apprendre.
En sus, l’été 2024, Union School offrira ses outils à des centres aérés afin qu’une centaine d’enfants, issus de milieux défavorisés, en bénéficie. Quand l’école sera pleine, dans trois ans, la directrice songe à ouvrir une crèche, « on ne peut pas se contenter de garder les bébés, il y a tant à faire pour les stimuler, les éveiller ». Une crèche bilingue où les coccinelles danseront gaiement et diront bonjour en anglais.
Un article écrit et publié le 28/05/2023 par Emilie Lanez et à retrouver sur L’Express.fr